Réponse et explications du Dr Patrick Bouet, Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins
Chères consœurs, chers confrères,
Au lendemain de la publication du rapport de la Cour des comptes sur l’Ordre des médecins, je tenais à vous écrire pour partager avec chacun d’entre vous la réaction du Conseil national de l’Ordre à ce rapport, dont nous mesurons pleinement les interrogations qu’il peut susciter au sein de notre profession. Sachez que le Conseil national de l’Ordre des médecins en conteste de nombreux points, tant sur la forme que le fond. Dans ce contexte, nous faisons le choix de la transparence, en publiant en ligne l’ensemble de nos réponses, précises et argumentées, et celles de la chambre disciplinaire nationale pour permettre à chacun de mesurer les imprécisions, les erreurs d’analyse, et les constats erronés que contient le rapport.
En premier lieu, je tiens à souligner que le rapport n’a pas voulu reconnaître que nous avons engagé l’Ordre dans une transformation profonde avec un objectif de modernisation de l’institution sur une période de neuf ans : 2013-2022.
En choisissant de clore son audit à la fin de l’année 2017, la Cour a refusé de prendre en compte les très nombreuses actions entreprises depuis et visant à consolider l’action de l’Ordre au service de tous les médecins et d’améliorer sa gestion : refonte du règlement de trésorerie qui encadre strictement les régimes indemnitaires et de remboursement de frais des élus ; instauration d’un dispositif très contraignant de contrôle de la gestion des conseils territoriaux ; élargissement de la composition de la commission de contrôle des comptes avec la présence de personnalités qualifiées ; combinaison de l’ensemble des comptes de tous les conseils certifiée par un commissaire aux comptes, entre autres.
Nous continuerons d’approfondir cette modernisation. C’est pourquoi nous mettrons pleinement en œuvre, lorsqu’elles sont fondées, les recommandations de la Cour des comptes. Nous connaissons votre attente ; nous devons être, à tous les échelons de l’Ordre, à sa hauteur. Elus par vous, nous poursuivrons sans relâche notre travail en ce sens pour renforcer votre confiance dans la seule institution qui représente les médecins dans leur ensemble, quels que soient leurs spécialités et leurs modes d’exercice.
Nous nous étonnons ensuite que plusieurs missions essentielles assurées par notre institution en toute indépendance, indépendance rendue possible par le fait que l’Ordre soit uniquement financé par vos cotisations, aient été passées sous silence dans ce rapport. C’est par exemple le cas de la tenue du tableau, du contrôle des qualifications ou encore de l’adaptation des règles déontologiques, notamment pour ce qui est de la mise en œuvre de la nouvelle législation sur la fin de vie. Nous regrettons vivement, dans le même temps, une analyse de l’efficacité des missions étudiées faite à partir d’une approche parcellaire et de généralisations hâtives. Ainsi du contrôle des relations entre les médecins et l’industrie, où l’Ordre a joué un rôle moteur qu’ignore le rapport, ou du contrôle des contrats, au sujet duquel la Cour a notamment choisi d’occulter purement et simplement le travail mené par l’Ordre pour s’assurer que les plateformes de téléconsultation respectent la loi.
L’Ordre, garant de la déontologie médicale, s’insurge également contre les insinuations du rapport selon lesquelles les plaintes visant des médecins seraient enterrées. Contrairement à ce que soutient la Cour, en se fondant sur des chiffres dont elle admet elle-même le peu de fiabilité, l’ensemble des plaintes et doléances qualifiables de plaintes sont instruites et, lorsque la conciliation échoue, sont transmises aux chambres disciplinaires. Il ne s’agit pas de nier qu’il puisse encore y avoir, comme dans tous les pans de la société, des comportements individuels condamnables de quelques élus ordinaux, qui doivent être fermement dénoncés. Mais ces cas ne doivent pas cacher la réalité profonde qui est la très grande vigilance des conseils départementaux à assumer pleinement leur mission.
Le rapport de la Cour des comptes comporte également un ensemble d’observations sur la gestion administrative et financière dont l’Ordre, engagé dans une démarche d’amélioration gestionnaire continue et volontariste depuis 2013, est bien décidé à tirer les enseignements. Toutefois, un certain nombre d’observations de la Cour appellent de la part de l’Ordre une ferme mise au point et un rétablissement de la vérité.
- Au sujet des indemnités: l’indemnisation de base est fondée sur le principe d’une indemnité journalière de 483 euros brut, de laquelle sont déduites la CSG et la CRDS, ne donnant lieu à aucun avantage social (maladie, retraite) et soumis à imposition. La valeur de cette indemnité, qui n’a pas été réévaluée depuis 2013, est comparable aux indemnités perçues par des médecins dans d’autres structures comme les URPS. Par ailleurs, depuis juin 2013, dès après mon élection, le passage aux frais réels, sur justificatifs et plafonnés, a été instauré.
- Au sujet des comportements individuels relevés par la Cour : le Conseil national a diligenté des procédures disciplinaires et pénales à l’encontre des élus mis en cause. Il a également porté plainte à l’encontre des salariés impliqués.
- Au sujet du montant de la cotisation: la Cour omet de préciser que le taux moyen annuel d’évolution, sur la période auditée, est de +1,2% et qu’il a été décidé pour 2019 de ne pas faire d’augmentation.
- Au sujet des principes comptables: pour les qualifier d’insincères, accusation totalement erronée, la Cour s’appuie sur un choix comptable qui est différent de celui retenu par l’institution qui suit les principes du Plan Comptable Général recommandé et certifié sincère par son commissaire aux comptes. Ce plan comptable, déjà appliqué par l’Ordre lors du précédent contrôle de la Cour, n’avait pas donné lieu à observations et n’avait pas conduit à une telle qualification.
Enfin, nous rejetons la lecture strictement administrative des fonctions de l’Ordre que fait le rapport. Cette conception est inacceptable. Elle ne correspond pas aux textes, qui confient à l’Ordre la défense de l’honneur et de l’indépendance de la profession. Elle ne correspond pas non plus à ce que la Cour des comptes elle-même écrivait dans son rapport de 2012, en évoquant « la défense et la représentation de la profession. » L’Ordre est parfaitement habilité à prendre position sur des politiques publiques de santé et leurs nécessaires évolutions, au regard des principes qui gouvernent notre exercice de médecin. C’est en ce sens, et là encore en toute indépendance, que l’Ordre s’est exprimé sur plusieurs projets de loi (Claeys-Leonetti, Ma Santé 2022, révision des lois bioéthiques…). Et c’est aussi dans ce rôle qu’il est de plus en plus sollicité par les responsables politiques pour s’exprimer sur de très nombreuses problématiques touchant à notre système de santé, à l’exercice de notre métier et à la santé de nos concitoyens. Et j’ose donc l’affirmer aujourd’hui : l’Ordre est devenu, par la volonté des pouvoirs publics et du législateur, et par une crédibilité retrouvée grâce à un important travail de fond, un partenaire central consulté sur le système de santé, ses dysfonctionnements, et ses évolutions souhaitables.
Chères consœurs, chers confrères, j’ai tenu à m’adresser directement à vous pour rétablir la vérité face à de nombreuses observations du rapport, alors que ses auteurs n’ont pas su ou pas voulu tenir compte des réponses de l’Ordre.
Je tiens à vous assurer que nous saurons utiliser ce rapport quand ses critiques et ses recommandations sont fondées. Nous approfondirons encore la réforme de l’institution que nous avons choisi de porter dès 2013. Celle-ci se poursuivra sans relâche. Tous vos élus nationaux, régionaux et départementaux sont pleinement mobilisés à cette tâche, pour faire que votre Ordre soit demain encore plus utile pour les médecins et pour les patients, encore plus central dans le débat de santé, encore plus efficace dans son fonctionnement et sa proximité.
Vous connaissez mon engagement. Il est entier pour permettre à l’Ordre de réussir, avec vous, à franchir une nouvelle étape.
Je vous prie de croire, chères consœurs, chers confrères, en l’expression de mes sentiments confraternels.
Dr Patrick Bouet