Comment rompre un contrat de soins avec un patient violent ?

Le Conseil Européen des ordres de médecins vient de lancer une mobilisation contre les violences que subissent de plus en plus les médecins. Comment réagir, et dans quels cas la rupture du contrat de soins s’impose-t-elle ? Enquête.

«Il m’arrive au moins un incident par mois, raconte le Dr C., généraliste à Argenteuil. J’ai signalé le dernier au Conseil départemental, car j’ai vraiment eu peur : la patiente, à qui j’avais prescrit 3 jours d’arrêt de travail un vendredi, a déboulé dans mon cabinet pour exiger une prolongation. Le ton est monté, avec injures et menace de salir ma réputation sur internet. » D’autres médecins libéraux du département ont relaté au CDOM des incidents de plus en plus fréquents, parfois chaque semaine : un refus de prescription de traitement ou de bilan complet, de délivrance de certificat d’aptitude au sport figurent parmi les premiers motifs de dérapages.

Progression inquiétante des chiffres

Depuis janvier 2023, 20 agressions verbales ont été déclarées au CDOM 95, ainsi que 20 cas d’usurpation d’identité (19 pour des ordonnances, 1 pour AT). Mais ces chiffres ne représentent que la partie émergée de la problématique, un grand nombre de médecins n’effectuant ni signalement ni dépôt de plainte (faute de temps, ou parce qu’ils ne considèrent pas la démarche utile). En France, le recensement de l’année 2022 mettait en exergue une augmentation de plus de 23% de signalements de violences envers les médecins en un an. Le phénomène est international, comme en témoigne l’Observatoire Européen des violences créé en 2017. Selon l’OMS, entre 8% et 38% des professionnels de la santé seraient victimes de violences physiques au cours de leur carrière.

Comment réagir pendant et après l’agression

Face à un patient agressif, le praticien doit avant tout tenter de désamorcer la situation en restant ferme et calme, tout en exprimant au patient qu’il est entendu et compris. Lorsque la situation dérape, garder une distance de sécurité puis abréger la consultation. Le conseil national de l’Ordre des médecins encourage fortement les médecins victimes d’agression à le déclarer auprès de leur conseil départemental – et notamment les médecins hospitaliers, trop peu représentés aujourd’hui dans l’Observatoire de la sécurité. Cette déclaration peut être réalisée en ligne. Ce signalement permet de connaître les problèmes d’insécurité rencontrés par les médecins sur le territoire, d’en analyser les causes et d’agir en lien avec les pouvoirs publics, qui doivent se saisir de cet enjeu majeur pour apporter des réponses concrètes aux médecins, dans la durée. Depuis novembre 2023, les signalements sont également transmis au Conseil Européen des ordres de médecins. Il convient également de déposer une plainte dans un service de police ou de gendarmerie, ou d’adresser la plainte directement au Procureur de la République, par lettre sur papier libre ; pour renforcer l’impact de cette démarche, le CDOM peut être sollicité pour intervenir auprès des autorités de police.

Se séparer d’un patient, quand et comment

Il est possible de refuser de prendre en charge à nouveau un patient qui s’est déjà montré agressif, à condition que les critères d’urgence soient écartés. Pour se dégager de cette obligation, le praticien doit prévenir son patient sans délai par écrit sous le motif “Rupture de la relation de confiance” et transmettre toutes les informations nécessaires au nouveau médecin désigné au titre de la continuité des soins. Une copie de ce courrier doit être adressée au Conseil départemental de l’Ordre et à la CPAM.

Nathalie Chahine